L'histoire du mocassin

L'histoire du mocassin

- AUX ORIGINES DE L'HUMANITÉ -

Eugene Cloutier
Le mocassin de 5 500 ans retrouvé en Arménie par les archéologues. Le Monde.fr

Chaussons de cuir, semelles de cordes, sandales tressées : les anciens prenaient soin de leurs pieds. La plus vieille chaussure jamais découverte à ce jour est un mocassin de cuir datant de 5 500 ans, retrouvée en Arménie, aux confins de la Turquie et de la Syrie actuelles. L'objet, confectionné dans une seule pièce de cuir souple et attaché par un lacet introduit dans une vingtaine d'œillets, témoigne d'un savoir-faire complexe largement répandu en Europe lors de la préhistoire et suggère que ce type de soulier fut peut-être longtemps porté dans des régions très éloignées les unes des autres1. Sa fabrication ressemble étonnement d'ailleurs aux mocassins que porteront les Autochtones d'Amérique du Nord lors de leur rencontre avec les premiers explorateurs européens, six millénaires plus tard.

Du soulier sauvage au soulier de boeuf

Un mocassin est une chaussure souple fabriquée à partir d'une à trois pièces de cuir : l'empeigne enveloppe le pied, le plateau recouvre le dessus du pied et le collet enserre le tout2. L'origine du mot nous est connue grâce à l'auteur et voyageur français Marc Lescarbot, qui séjourne en Acadie en 1606-1607, et dit à propos des Algonquiens: « […] les nôtres usent de souliers, qu'ils appellent Mekezin, lesquels ils façonnent fort proprement, mais ils ne peuvent pas longtemps durer, principalement quand ils vont en lieux humides: d'autant que le cuir n'est pas corroyé, ni endurci, ainsi seulement façonné en manière de buffle, qui est cuir d'élan [sic] » 3.

Eugene Cloutier
Mocassins portés par les Algonquiens, vers 1780. Archives de la Ville de Montréal
Eugene Cloutier
Cornelius Krieghoff, Vendeuse de mocassins traversant le Saint-Laurent devant Québec, v. 1853–63 Huile sur toile, 27.2 x 22.3 cm. Don de David Ker, Dundas (Ontario), 1998. Musée des beaux-arts du Canada.

À l'aube de la colonisation de la vallée du Saint-Laurent, le savoir-faire du mocassin européen s'était perdu au profit d’une mode plus moderne. Les souliers de cuir français montés sur des talons de bois sont toutefois mal adaptés à l’hiver nord américain et les premiers Européens n’hésitent pas à se procurer les « souliers sauvages » auprès des autochtones, dont le cuir de chevreuil ou de cerfs conserve sa souplesse même à des températures extrêmes. Cette souplesse permettait, entre autres, d’enfiler des raquettes ou de voyager en canot d'écorce sans l'endommager, des qualités appréciées des coureurs des bois qui, confrontés aux rigueurs du climat, commencèrent à s’habiller tout naturellement « à la manière des Sauvages »4.

« Leurs souliers sont de peaux de cerfs, Ours et Castor dont ils usent en bon nombre. »
- Samuel de Champlain5

Une production artisanale en mutation

L’établissement de la communauté Huronne-Wendat à Jeune-Lorette, tout près de Québec, aux environs de 1697 facilita grandement ce commerce, les autochtones s’adonnant au travail du cuir en plus de leurs activités de chasse et de pêche. Au contact de la culture autochtone et des échanges avec eux, les Canadiens apprennent rapidement les techniques de fabrication des mocassins et, dès lors, n’utilisent presque plus d’autres types de souliers6. Renommés « soulier du pays », « pichou », « soulier ou botte du pays » ou simplement « souliers de bœufs », les Français les adaptent à leur vie courante en remplaçant le cuir d’orignal, du caribou, du chevreuil ou du phoque par le cuir de bœuf, de mouton ou de veau7.

L’industrialisation et l’immigration massive au 19e siècle fit exploser la demande de produits de fabrication autochtone au Canada, si bien que les entrepreneurs hurons choisirent d’embaucher un nombre toujours croissant de non-autochtones à qui ils apprennent le travail du cuir. Parmi ceux-ci, plusieurs ouvriront ensuite leur propre fabrique8.

Eugene Cloutier
Couturières de la manufacture de « Bastien Bros. » en 1947, exécutant à la machine à coudre les coutures qui forment le talon du mocassin. Bibliothèque et Archives nationales du Québec E6,S7,P35430.

Un savoir faire transmis de générations en générations

Au tournant du 20e siècle, la production atteint des sommets: plus de 7 000 paires raquettes et 140 000 paires de mocassins sont produites annuellement par une population ne dépassant pas 400 âmes. La révolution industrielle transforme les méthodes de fabrication, introduisant le travail dit “ à la pièce”: les morceaux de cuir autrefois coupés au couteau sont alors taillés en usine dès 1960 par des tailleurs expérimentés puis distribuées aux artisans qui procèdent ensuite à l’assemblage, le perlage et le laçage contre une rémunération fixe pour chaque douzaine de mocassins.

Le perlage consiste à décorer le mocassin de multiples petites perles de couleurs variées. Plus le motif est complexe, plus il prend du temps à réaliser. Ce travail étant fait à domicile dans les communautés de Loretteville, de Saint-Émile et de Lac-Saint-Charles, il n’est pas rare de voir tous les membres d’une famille y participer dès le plus jeune âge, afin d’augmenter le revenu familial9. Au fur et à mesure de leur apprentissage, on confie aux enfants des tâches plus exigeantes, si bien qu’on retrouve parfois plusieurs générations de perleuses au sein d’une famille.

Aujourd’hui en compétition avec les produits importés, les produits québécois du cuir continuent de pouvoir compter sur l’expertise d’une main d’œuvre locale, qui persiste à perpétuer une tradition typiquement canadienne dont le savoir-faire remonte aux origines de l’humanité.

Eugene Cloutier

La grande tabagie: la première alliance Franco-Amérindienne

Samuel de Champlain raconte dans ses récits de voyage que le 27 mai 1603, une coalition d’environ 1 000 Innus, Algonquins et Etchemins célèbrent leur victoire sur les Iroquois à l’embouchure du Saguenay. À l’arrivée des Français, l'hôte de l’événement, le chef innu Anadabijou (« grand sagamo ») les reçoit selon la coutume du pays. Au terme de la rencontre, ce dernier déclare qu’ils sont les bienvenus et qu’ils pourront peupler ces terres à la condition de les aider à combattre leurs ennemis10, une promesse que Champlain honora six ans plus tard au lac qui porte aujourd’hui son nom.

Cette première alliance franco-autochtone ouvre non seulement la voie à la colonisation française du continent, mais aussi au métissage des cultures et des savoirs de deux mondes qu’un océan ne sépare plus.

 

Samuel Venière
Historien consultant

1 La plus vieille chaussure du monde, Le Monde.fr

2 Histoire de raconter : le travail du cuir à domicile, Ville de Québec - Patrimoine

3 Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France Contenant les navigations, découvertes, & habitations faites par les François en Indes Occidentales & Nouvelle-France, Chapitre VIII, Paris, 1617.

4 Pehr Kalm, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, traduit et annoté par Jacques Rousseau, Guy Béthune et Pierre Moresset, Montréal, Pierre Tisseyre, 1977, folio 929.

5 Œuvres de Champlain, Publié par l'Université Laval en 1870, seconde édition, Tome 1

6 Rapport de l'archiviste de la Province de Québec (R.A.P.Q.) 1923-1924, Québec, Imprimeur du Roi, p. 57 : Mémoire Bougainville.

7 M.-A. Bluteau, J.-P, Charland et M. Thivierge, Les cordonniers artisans du cuir, Montréal, Boréal Express, 1980, p. 38-39 ; Bernard Audet, Op. cit., p. 56

8 Histoire de raconter : le travail du cuir à domicile

9 Op. Cit. Histoire de raconter : le travail du cuir à domicile.

10 La Grande tabagie de 1603, Entrevue avec Éric Bédard historien, à Radio-Canada